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Retour à Ithaque

Jean Orizet, Jacques André Editeur, 2019, 386 p., 20 €

On connaît bien sûr Jean Orizet par sa poésie, légitimement célébrée, mais également par son travail ardent d’anthologiste… d’anthologie…, grand connaisseur des poètes de ce temps et de temps plus anciens. Il n’en demeure pas moins que son œuvre en prose est de la plus haute importance et je dirais de la plus haute vertu au sens que les Anciens donnaient à ce mot (Virtu = courage, ce qui vient du cœur.) On songe en particulier à ces Forêts de l’impossible ou à Mémoires d’Entretemps, parus au Cherche Midi, il y a quelques années. Ce Retour à Ithaque qu’il nous livre aujourd’hui porte en lui quelque chose de la grâce du voyage, de la promenade érudite, de la célébration du beau qu’il saisit de sa plume enchanteresse, comme en leur temps un Suarès, un Segalen, un Toulet ou d’une autre manière un Edward Hopper. Tribut aux devanciers, bel exercice de gratitude à leur endroit, tel est aussi cet opus où l’on croise les plus grands : Byron, Suarès, déjà cité, Pessoa, Kant, Hegel, Shakespeare, Saint John Perse, Whitman. Tant d’autres aussi… Des pyramides d’Egypte à Pompéi, à Ségeste, de l’Amérique profonde au delta du Mékong ou à l’ancienne Babylone, l’auteur a tout vu, tout compris de ces pans de l’histoire des hommes, mais aussi de ses entretemps. Car c’est là, pour lui, que tout se révèle, dans cet « instant éternisé », comme l’écrivait Bernard Delvaille ou dans ce « moment de furtive éternité » comme le dirait Cingria. « Ce monde hors du temps ou sans temps pourrait bien être celui de l’entretemps. » écrit-il. L’entretemps est sa grande affaire, sa quête résolue, obstinée, magnifique, celle d’une contrée puissamment poétique, « ce hors temps, ni passé, ni présent. », concept ambulatoire qui se meut sur une ligne claire tendant vers la durée pure si chère à Bergson et aux hommes qui marchent. « Je ne puis approuver que ceux qui cherchent. », écrivit le grand Pascal et nul doute que Jean Orizet serait un « chercheur » selon son cœur. N’est-il pas, cet entretemps, une des plus belles formes du jaillissement de l’Etre ? Si le titre du livre fait référence à Ulysse et à la fin de son Odyssée, il nous renvoie aussi aux vers célèbres, ô combien, du sieur du Bellay :

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Ou comme cestui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

D’usage et de raison, Orizet en est plein aujourd’hui, comme le dit le poète, mais dans son œil bleu faussement blasé, passent bien des folies encore, celle de la vie, des amitiés qui comptent, des élans passionnés, des voyages qu’il continue de faire. Nul n’oublie que de retour à Ithaque, Ulysse doit de nouveau repartir, encore et toujours. Il note aussi quelque part que l’« Or » du patronyme Orizet a une origine aurifère renvoyant à l’activité de quelques aïeux. Chercheur d’or, voilà un état qui lui sied bien. Et si, en effet, plus que jamais, sa parole était d’or, dans sa folle sagesse, dans sa noble bénévolence, dans cette beauté dont il sait traquer la plus infime des veines, mais aussi habiller tendrement le monde ?

Patrick Tudoret