Au soleil du présent
Edito de la gazette 147 – mars 2023
Un an après la signature de l'armistice de 1918, Paul Valéry écrivit dans La Crise de l'esprit cette phrase devenue célèbre : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. ».
Puis ce furent « les années folles » et, aux millions de morts de la Première Guerre mondiale vinrent s’ajouter, trente-et-un ans plus tard, les millions de morts de la seconde. Malgré ce carnage et ces destructions, notre civilisation a tenu bon.
En mai 2021, Michel Onfray, notre philosophe de service, publia un livre intitulé L’Art d'être Français, destiné à la jeune génération. Il rappelait que la France était un ensemble géographique, historique et culturel vieux de plusieurs millénaires. Puis il citait six noms d'écrivains et de philosophes qui selon lui, avait incarné au fil des siècles, l'esprit français : Montaigne, Rabelais, Descartes, Voltaire, Marivaux et Victor Hugo. Il affirmait ensuite que notre époque ne permettait plus d'être adepte de Montaigne, d'être rabelaisien, cartésien, voltairien, de pratiquer le marivaudage ou de se réclamer de l'idéal hugolien.
Onfray pense qu'après deux millénaires, le judéo-christianisme a fait son temps et que notre civilisation touche à sa fin. Oui, des civilisations sont mortes, et pour différentes raisons, mais nous n'en sommes pas là. Oui, notre monde traverse une période difficile, marquée par une pandémie, des conflits armés, des affrontements idéologiques. Oui, les querelles entre écolo–gauchistes, racialistes, indigénistes, antispécistes et autres lanceurs de sauce tomate compliquent le débat, mais il y a débat, au sein du monde occidental du moins. Alors, plutôt que de parler de fin de civilisation judéo–chrétienne, évoquons les valeurs de l'humanisme propre à la France, que l'on peut définir ainsi : l'ensemble des tendances intellectuelles et philosophiques ayant pour objet le développement des qualités essentielles de l'homme comme la générosité, le courage, la morale ou la fierté. La France même divisée « archipellisée », peut encore être rabelaisienne ou légère, avoir de l'humour, de l'intelligence, de la raison et de la grandeur.
« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » écrivait Nietzsche, et à la phrase de Valéry, je préfère celle-ci, écrit vingt-quatre ans plutôt, en 1895, par André Suarès – écrivain trop méconnu – à propos des ruines de Rome : « Heureux celui qui peut retenir derrière lui la route du monde et porter le soleil du présent dans les ombres immenses de ce qui n'est plus. »
Faisons face avec détermination au soleil du présent.
Au nom de l’AEC, je souhaite à tous nos membres et lecteurs une nouvelle année aussi heureuse que possible.
Jean Orizet